Ces entreprises qui remettent du lien entre les collaborateurs

Les entreprises spécialisées dans le gaming pour les RH ou le recrutement se sont vues, depuis le Covid, poussées vers les enjeux de cohésion d’équipe mis à mal par le télétravail et les confinements.

Parachutés sur une base arctique en 2050, dans le froid polaire, les salariés confrontés à une grave avarie électrique doivent trouver des solutions tous ensemble… Dans cet autre escape game, ils doivent relier des couleurs avec des formes, et seul le travail collaboratif permet de résoudre ce casse-tête géant.

Depuis le début de la pandémie, la société Arkham Studio, spécialiste du gaming au départ pour le recrutement ou l’événementiel, ne cesse d’être sollicité sur les questions de cohésion d’équipe. L’assouplissement du télétravail à partir du 9 juin relance la question du retour du bureau. « Les dirigeants s’inquiètent du niveau d’engagement de leurs salariés, et de la rupture entre ceux qui ont été en télétravail et ceux qui ont dû revenir sur site », résume François Leognany, son président. Keolis à Tours, a commandé à la fin 2020, un jeu géant en ligne, jouable 15 minutes tous les matins, pour renouer le lien. « L’idée est de passer un bon moment, bien sûr, mais le mécanisme du jeu est fait pour que les salariés soient obligés de se parler, et c’est aussi un moyen de repérer le leader ou celui qui se met en retrait », décrit François Leognany. Face à l’explosion de la demande, Arkham Studio (14 salariés, 350.000 euros de ventes), va sortir une gamme de produits destinés à la cohésion d’équipe, qui se fera sur abonnement en fonction du nombre de salariés.

Applications pour DRH

Chez Human Games (HG) aussi, on s’adapte à la demande des clients ébranlés par le Covid. Ce pionnier de la réalité virtuelle appliquée aux RH a sorti début mai une application dédiée au télétravail. Du grand groupe à la PME, la quinzaine d’employeurs avec lesquels travaille HG estime que l’on ne basculera pas du jour au lendemain du télétravail au présentiel. « Certains salariés se sont épanouis en travaillant chez eux et ont gagné en créativité, d’autres ont détesté cette période et perdu en productivité. Les entreprises ont besoin d’outils pour comprendre ces différences », explique Deise Mikhail, cofondateur et chef de projet.

Coproduits par HG et le cabinet de recrutement messin Walter, les jeux de réalité virtuelle proposés parOddity permettent d’observer de manière plus fiable que par le biais de questionnaires dans quel environnement le salarié se sent le mieux, comment il s’organise, comment il fait face aux perturbations liées au télétravail. Human Game (7 salariés à Nancy) a vu son chiffre d’affaires doubler grâce à la crise pour atteindre 400.000 euros. L’entreprise compte à présent développer des applications personnalisables pour les DRH.

Addictions

Le cabinet nantais Prévia, spécialiste de la qualité de vie au travail, qui proposait des ateliers et animations sur la santé aux grands groupes tertiaires ou industriels, a vu aussi son activité évoluer depuis un an. Les sessions d’information ludiques en petits groupes sur la nutrition, le sommeil ou les addictions sont très prisées dans la perspective du retour au bureau, car ces problèmes ont pris de l’ampleur durant les confinements. « Pour remettre l’économie en marche, on ne pourra plus faire l’impasse sur la relation humaine au travail », estime Catherine Berçon, directrice générale de Prévia, qui emploie 25 salariés pour 3 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2020. Son entreprise propose également des formations aux managers et aux RH pour améliorer les conditions de la reprise.

M. K. Correspondante à Metz Pascale Braun Correspondante à Metz

Les Echos

Les cinq défis RH des patrons de PME pour réussir leur relance

A l’heure du retour progressif à la normale, les dirigeants doivent appréhender les bouleversements de la crise sur leurs salariés. Organisation du télétravail durable, montée en compétence, transformation managériale, vigilance sur la santé… autant de défis à relever pour embarquer ses équipes dans la reprise.

Les étapes de déconfinement annoncées par Emmanuel Macron placent les dirigeants au pied de la reprise. Et les patrons de PME le savent : les salariés sont au coeur de la réussite de ce retour progressif à la normale. Gestion d’un mode durable du télétravail, urgence de récréer de la cohésion entre les équipes, vigilance sur les risques psychosociaux, et transformation en profondeur des modes de management… à l’heure du retour au bureau, les priorités RH induites par plus d’un an de crise sanitaire, sont cruciales.

Se projeter dans le télétravail de l’après-crise

C’est le sujet numéro un. La gestion du télétravail, éprouvé au gré des confinements, mobilise les dirigeants. « Chez nous, 80 % des salariés veulent rester en télétravail, tout en revenant pour des moments festifs ou des réunions importantes. Je vais leur laisser le choix à l’avenir puisque cela fonctionne très bien », explique Guillaume Leboucher, à la tête d’Open Value, spécialisée dans l’IA.

Même souplesse chez le fabricant de pompes industrielles Someflu, même si une grande partie des 75 salariés devaient être dans les usines. « Chez nous une vingtaine de salariés, les commerciaux et le bureau d’études ont été en télétravail. On ne pourra pas revenir en arrière, nous n’allons pas imposer à nos salariés un retour immédiat en juin », indique Alexandre Lacour, son dirigeant. Il estime un accord sur le télétravail « incontournable », et pour l’optimiser, a fait appel à un cabinet conseil qui forme les salariés sur les codes du travail à distance.

A contrario, chez Axialease, un spécialiste dans la location financière, où « seulement 30 % des clients sont passés à des contrats dématérialisés », selon son président Sébastien Luyat, le déconfinement rimera avec retour au bureau. « J’ai vu plus d’effets néfastes que positifs du télétravail, tant sur la productivité que sur le climat social », confie le dirigeant, qui négociera un accord, mais « pas plus d’un jour par semaine ».

Remotiver les équipes longtemps éloignées

L’éloignement a fortement détérioré le « travailler ensemble ». Les patrons sont unanimes sur l’urgence de remettre du lien entre les équipes. « Ce qui manque le plus, ce sont les moments de convivialité. Nos salariés, dont la moyenne d’âge est de 27 ans, sont en grande demande de liens. Nous avons multiplié les cafés Zoom, les plénières mensuelles, et avons organisé des séances de cuisine en visio à l’heure de l’apéro », lance Guillaume Leboucher, qui prévoit dès que ce sera possible une soirée péniche à Paris. Les « escape games » digitaux, les jeux collaboratifs ont le vent en poupe.

L’enjeu du sens au travail revient également. Souvent citée par les dirigeants, mais rarement traitée, cette question des valeurs de l’entreprise est un enjeu phare. La société Wonderbox, durement éprouvée par la crise, a sollicité Adsoom pour mettre en place pour ses 250 salariés en France une série de 4 ateliers par petits groupes de 10 pour plancher sur les valeurs de l’entreprise. Les sessions se termineront par un « escape game » virtuel pour tous.

Conserver ses talents en interne

« L’enjeu est aussi de faire revenir les gens qui ont été au chômage partiel, de les motiver, d’éviter qu’ils ne partent ailleurs. On a vu que de nombreuses personnes s’étaient reconverties professionnellement », indique Jérôme Bouron, directeur général délégué de Sémaphores, qui accompagne les entreprises sur les questions RH. Des cas d’autant plus flagrants dans les secteurs longtemps à l’arrêt – hôtellerie, tourisme, restauration – et qui se préparent à la réouverture.

De nombreux dirigeants en ont profité pour former leurs salariés qui étaient au chômage partiel avecle dispositif FNE-formation financé par l’Etat. Open Value a formé 15 personnes à de nouvelles certifications technologiques. Chez Someflu, les 15 à 20 % de l’effectif (sur 75 personnes) au chômage partiel ont été formés aux logiciels métiers et au traitement des données pour travailler avec les nouvelles machines tournantes numériques que l’entreprise a mis au point pendant la pandémie.

En finir avec le management à l’ancienne

De l’avis de tous, il sera difficile de revenir à un mode de gestion verticale, à l’ancienne. « Sur certains sujets, les salariés auront une demande croissante de participation aux prises de décisions, y compris sur leur propre travail », prévient Jérôme Bouron. « Depuis un an, nos équipes ont trouvé des solutions au quotidien et en toute autonomie, c’est évident qu’il faut libérer les modes d’organisation, mon entreprise ne fonctionnera plus comme avant », précise Alexandre Lacour.

Fabrice Lépine, à la tête de Wonderbox, salue « l’énergie créative qui a fait émerger une multitude de nouveaux produits ». « L’entreprise s’est transformée plus vite ces derniers mois qu’en 3 à 4 ans », déclare-t-il.

Corollaire de cette prise d’autonomie, le partage des performances revient en force. « L’attente des salariés sera majeure en termes de reconnaissance financière », estime Jérôme Bouron. D’après l’enquête de l’Association nationale des DRH (ANDRH) de février 2021, la refonte de la politique de redistribution et de rémunération fait son entrée dans les thématiques, elle est jugée prioritaire pour 38 % d’entre eux.

Le gouvernement prépare d’ailleurs de nouvelles mesures pour faciliter le versement de la participation et de l’intéressement dans les PME. « Nous ne l’avions pas mis en place, mais c’est un des axes sur lequel nous travaillons », explique Alexandre Lacour.

être en alerte sur les risques psychosociaux

C’est un point majeur de préoccupation. Si les entreprises ont bien investi les protocoles de mesures sanitaires (gel, masques, distanciation sociale), elles ont plus de mal à appréhender les risques psychosociaux. « Les dirigeants ont conscience de l’anxiété, de l’isolement possible chez leurs salariés, mais ils n’ont pas forcément mis en place de mesures. La plupart sont tenaillés d’abord par la survie économique de leur entreprise », rappelle Jérôme Bouron.

« Nous allons récupérer des salariés en mauvaise santé, les troubles musculo-squelettiques (TMS) vont arriver, et les sujets de santé mentale aussi », redoute Laurence Breton Kueny, vice-présidente de l’ANDRH. « J’ai demandé à mes chefs d’équipe d’appeler régulièrement les gens sur qui on a des points de vigilance, mais j’avoue que c’est le point faible du dirigeant, nous ne savons pas comment vont les gens », reconnaît Guillaume Leboucher.

Tel autre patron confie avoir été confronté à une tentative de suicide d’un employé. « Le plus dur est de voir les salariés au moral en berne », glisse Sébastien Luyat, tandis que Fabrice Lépine craint, lui, « l’effet de décompression, une fois la reprise revenue, sur lequel il faudra être très vigilant ».

Marion Kindermans

Les Echos

Conseil, audit, cabinets d’avocats : pourquoi si peu de dirigeantes ?

GouvernanceMalgré quelques avancées notables, la féminisation des instances dirigeantes reste à la traîne au sein des services professionnels. Explications et proposition de solutions.

Pour quelles raisons les structures de services professionnels, autrement dit les cabinets d’avocats, d’audit et de conseil, comptent-elles si peu de dirigeantes ? Voilà un sujet à soumettre aux Assises de la parité, qui ouvrent leurs portes virtuelles aujourd’hui. Quelques timides signes de progression se sont toutefois récemment fait sentir. Ainsi, le 1er mai dernier, la Française Marie-Aimée de Dampierre a été nommée « Chair » du cabinet d’avocats Hogan Lovells. Une première au sein de cette firme de 800 associés dont le double siège est basé à Londres et à Washington. Cette nomination suit celle, inédite à la tête de Freshfields Bruckhaus Deringer, de l’Australienne Georgia Dawson. Et cette dernière ne devrait bientôt plus être la seule dirigeante du « Magic Circle », un club de cinq cabinets d’avocats internationaux d’origine britannique, puisque chez Linklaters, trois femmes restent en lice pour diriger la firme.

Se retirer de la compétition

« Leur nomination rend ces talents féminins, d’un coup, très visibles et répond aux demandes insistantes de clients soucieux de responsabilité sociale d’entreprise et donc de parité », estime Caroline Oulié, associée du cabinet de chasse de têtes Boyden, une structure justement très féminisée. « Mais, chez les avocats, pour une femme nommée, on ne compte guère, à ses côtés, que 3 ou 4 associées pour une trentaine d’hommes alors que la profession est des plus mixtes. » La parité n’est pas non plus au rendez-vous en audit et conseil puisque Marie Guillemot, présidente du directoire de KPMG en France (là encore, une première) se retrouve, au sommet, avec une équipe d’hommes.

Les services professionnels incluent des métiers de projets et de passion, qui comportent beaucoup de contraintes. Plus le cabinet est prestigieux, plus ses honoraires sont élevés, plus les clients sont exigeants et plus la voie du partnership est rude. Résultat, le chemin menant au rang d’associée étant difficile à concilier avec une vie de famille, certaines femmes préfèrent se retirer d’elles-mêmes de la compétition et intégrer une entreprise, souvent d’ailleurs cliente de leur cabinet.

« Leur tâche n’est pas plus facile en entreprise, mais elles peuvent mieux s’y organiser. Souvent, en cabinet, un travail urgent peut les mobiliser une bonne partie de leur soirée ou il peut leur être demandé, du jour au lendemain, de mobiliser toute une semaine voire plus, pour des déplacements [hors pandémie bien sûr, NDLR]. C’est formidable à 25-30 ans mais, à un moment, cela prend la forme d’énormes sacrifices et devient usant », éclaire la chasseuse de têtes. Cela explique, en partie, pourquoi il y a plus de femmes dans les comités de direction d’entreprises (mais pas encore suffisamment) que dans les groupes d’associés de cabinets.

« J’ai commencé à travailler à vingt-trois ans avec la détermination farouche de réussir et de construire ma carrière avant trente-cinq ans » , se remémore Marie-Aimée de Dampierre, qui a successivement été responsable de l’équipe propriété intellectuelle, médias et technologies à Paris puis managing partner du bureau français (aujourd’hui dirigé par Xenia Legendre) avant de prendre des responsabilités internationales. « Bien choisir son conjoint est important : mon mari m’a beaucoup aidée. » Mais, sauf exception, le désir ardent de réussir est une chose, la possibilité d’y parvenir, une autre. C’est difficile, y compris pour celles qui génèrent de la clientèle, produisent du chiffre d’affaires et parviennent à se plier à des horaires exigeants. Mentoring, sponsoring, networking, formation, accompagnement… S’ils veulent changer les choses, les cabinets doivent impérativement adopter une démarche proactive et inclusive.

Sensibles au prestige

« J’ai, par exemple, des rendez-vous téléphoniques mensuels avec quatre ‘mentees’ – femmes et hommes sélectionnés, selon leur profil, par les ressources humaines – qui me font part de leurs projets et à qui je prodigue des conseils », illustre Florence Ferraton, la patronne de Russell Reynolds à Paris. Comme les hommes, les femmes sont sensibles au prestige, à l’argent et à la capacité d’influence, mais elles se posent davantage de questions quant à la nature et à l’impact de leurs missions.

La dirigeante de l’entité française du cabinet de conseil en stratégie Bain & Company l’a bien compris : « Accélération, décélération, break, accélération… Pouvoir créer un environnement de travail qui motive les femmes et moduler leurs parcours de carrière en fonction des phases de leur vie est essentiel », insiste Ada Di Marzo dont l’équipe de direction, à 40 % féminine, comprend 26 % d’associées. Exception de taille quand la moyenne du secteur plafonne à 13-15 % et belle preuve que, si on y est déterminé, la rétention des talents féminins reste possible dans ces métiers.

Muriel Jasor – Les Echos

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