Télétravail : 4 tendances émergentes de l’ère post-covid

Depuis le 9 juin, les règles du télétravail sont assouplies et les collaborateurs souvent encouragés à revenir sur site. Trois PME de la tech et le siège lyonnais d’Orange ont profité de la crise pour dynamiter les codes traditionnels de l’organisation du travail et proposer de nouvelles alternatives.

Et maintenant, comment fait-on ? Après plus d’un an de télétravail quasi à 100 % pour les fonctions éligibles, les règles sont assouplies et les dirigeants de PME veulent faire revenir les salariés sur site. Il ne s’agirait pas de rater la reprise. Les discussions se poursuivent pour trouver le bon équilibre, alors que 30 % des entreprises feraient face à des salariés ayant déménagé dans une autre ville depuis le début de la crise, sans en informer leur manager au préalable, selon l’Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH). Poussé par la rareté des talents, la croissance qui s’envole et la jeunesse des troupes, le secteur de la tech, s’illustre par des initiatives qui remettent en cause les modèles traditionnels et les réflexes managériaux.

% télétravail, zéro bureau

Ne cherchez plus les bureaux d’AssessFirst (7 millions d’euros de chiffre d’affaires), il n’y en a plus. Les 450 mètres carrés loués rue du Sentier, à Paris, ont été lâchés, et le siège social n’est plus « qu’une adresse », dit David Bernard, le dirigeant de cette entreprise spécialisée dans le recrutement prédictif. Plus de la moitié de 70 salariés « data scientists », développeurs, marketeurs, commerciaux et administratifs, 30 ans en moyenne, ont quitté Paris pour Ibiza, Lanzarote, Barcelone, Nantes ou ailleurs sur la planète, avec leur ordinateur sous le bras. L’entreprise s’est mise en « full remote asynchrone », et le personnel n’est même plus obligé de travailler sur les mêmes fuseaux horaires.

« Avant mars 2020, nous étions une entreprise ‘basée au bureau’ avec un seul télétravailleur », souligne David Bernard. L’entreprise a d’ailleurs dû réaliser un gros travail de documentation sur ses process et ajuster ses méthodes RH pour généraliser le télétravail dans l’urgence. Mais le pli est vite pris, et, en juin suivant, la perspective d’un retour sur site, n’enchante personne. L’entreprise saute le pas, en juillet. Elle propose à chacun 800 euros de prise en charge d’achat de mobilier et 3.000 euros par an, pour s’offrir des tranches de coworking. Economies réalisées : 15.000 euros par an. David Bernard a maintenu les salaires parisiens.

Des rituels RH digitaux et des nouveaux KPI

Le télétravail ne suscitait pas l’enthousiasme de Nicolas Trabuc, le cofondateur d’Happydemics, mais cette PME innovante – « une version digitale d’Ipsos » – dont le chiffre d’affaires est tenu secret en phase de levée de fonds, s’y est résolu. Depuis le 9 juin, c’est dix jours de télétravail par mois possibles pour la quarantaine de salariés. « Ceux qui souhaitent venir au bureau à 100 % le pourront, mais nous n’avons plus forcément vocation à tous nous retrouver », explique le dirigeant. Pour donner ses chances à la nouvelle organisation, deux initiatives, testées pendant la période Covid-19, perdureront : la réunion digitale du lundi soir à 18 heures, et le baromètre trimestriel de satisfaction des salariés. Ni l’une ni l’autre n’existait avant la crise sanitaire. La première est le seul moment de la semaine où toute l’entreprise est réunie, chaque pôle prenant la parole pour évoquer ses dossiers. La seconde permet au chef d’entreprise de prendre le pouls de ses équipes. « Lorsque tout le monde est présent, l’ambiance générale est assez facile à sentir, mais à distance je n’arrivais plus trop à savoir et je me suis dit qu’il fallait que j’utilise notre propre outil pour l’entreprise. Et, aujourd’hui, les résultats entrent dans mes indicateurs clé de performance (KPI) personnelle », confie le patron.

Des recrutements sans frontière

En mars 2020, l’architecte informatique de Troops, dédié à la numérisation des groupes intérimaires, a rejoint son Allemagne natale et le commercial s’est installé à Barcelone. A partir de là, Emilie Legoff, la fondatrice de la start-up lyonnaise a avisé : elle n’avait aucune raison de se « mettre des barrières pour recruter […] des profils presque introuvables, hypertechniques, anglophones… » Son nouveau terrain de chasse : l’Europe entière.

Depuis un an, elle a intégré trois développeurs et un chef de projet ukrainiens, un codeur estonien et un hacker israélien. « J’ai posté les offres d’emploi sur des sites tech spécialisés, sans cibler spécifiquement des étrangers mais les annonces précisaient 100 % télétravail, et spécifiaient que la maîtrise du français n’était pas indispensable », dit-elle. Les candidats ont passé à distance tests techniques, tests de personnalité pour la compatibilité avec le reste de l’équipe, et un entretien d’embauche en visio. » En plein boom, Troops, 59 personnes pour un volume d’affaires de 500 millions d’euros (rémunération à la commission, entre 1 et 3 %), a embauché 30 nouveaux collaborateurs dans l’année. Seul le noyau initial est encore lyonnais.

Des bureaux annexes pour les banlieusards

En rassemblant à la Part-Dieu, à l’automne dernier, 3.000 salariés issus de 18 sites, le groupe Orange a perturbé les habitudes de vie et rallongé les trajets de ses collaborateurs.Pour leur éviter de longs déplacements quotidiens, l’opérateur a opté pour la création de quatre sites de télétravail aux quatre points cardinaux à distance de Lyon, à Vienne, Saint-Etienne, Villefranche et Isle-d’Abeau mais reliés aux transports en commun, et d’un espace de coworking en banlieue, à Dardilly. A la clef, 90 postes proches des domiciles, sans les inconvénients des trajets ou de la maison, avec les mêmes garanties de convivialité, de confort et de fluidité informatique que le siège. Les journées passées dans ces tiers lieux sont décomptées en télétravail, « les salariés n’étant pas auprès de leur équipe », explique-t-on chez Orange.

Ces espaces tampon ont fonctionné six mois avant le confinement, avec un bon taux de remplissage, sans file d’attente sur la plateforme de réservation. Depuis le Covid-19, le groupe n’exclut pas d’augmenter l’offre en fonction de l’affluence des convertis au télétravail.

Les Echos – Léa Delpont Valérie Landrieu

Fronde inédite contre le recueil forcé des cookies

L’association Noyb a envoyé 560 avertissements à de grands sites Web européens ne proposant pas le refus des cookies.

Trois ans après l’entrée en vigueur du RGPD (règlement général sur la protection des données), les défenseurs du respect de la vie privée des internautes en ont assez d’attendre son application. Ils se désolent notamment que l’écrasante majorité des sites Web ne respectent toujours pas l’obligation de laisser le choix à leurs visiteurs d’être pistés ou non au moyen de petits fichiers informatiques appelés « cookies ».

L’association Noyb (pour « None of Your Business », c’est-à-dire « Pas vos affaires ») est à la pointe de ce combat. Emmenée par l’avocat autrichien Max Schrems (connu pour avoir fait tomber à deux reprises les accords transatlantiques de partage de données pour cause d’absence de garanties suffisantes côté américain), l’organisation à but non lucratif vient de donner un grand coup de poing sur la table.

Des plaintes formelles dans un mois

Lundi, Noyb a envoyé 560 avertissements à autant de grands sites Web, accusés de ne pas respecter le RGPD en matière de recueil du consentement des internautes au dépôt de cookies. Les entreprises incriminées vont des géants Google et Twitter à des pages locales disposant d’une large audience. Elles sont situées dans 33 pays, dont l’intégralité des membres de l’Union européenne à l’exception de Malte. Cette salve inédite sera suivie de plaintes formelles dans un mois auprès des CNIL nationales compétentes, si les éditeurs concernés ne modifient pas leurs pratiques, a prévenu l’association. Les éventuels contrevenants s’exposent ensuite à une sanction pouvant atteindre 20 millions d’euros.

Pour mener sa charge massive, Noyb a eu recours à des algorithmes qui analysaient les bannières de recueil du consentement présentées aux internautes. D’ici à la fin de l’année, l’association veut avoir passé les 10.000 principaux sites consultés en Europe à travers ce filtre. D’ores et déjà, sur son échantillon de 560 sites, plus de 80 % n’affichent pas de bouton « Refuser ». D’autres utilisent diverses techniques (sous-menus, couleurs différentes, cases précochées, finalités détournées…) pour forcer l’internaute à consentir.

La CNIL française à l’offensive

« Toute une industrie de consultants et de designers développe des labyrinthes du clic dingues pour assurer des taux de consentement imaginaires. Frustrer les gens jusqu’à ce qu’ils cliquent sur ‘OK’ est une violation claire des principes du RGPD », insiste Max Schrems. Les entreprises admettent ouvertement que seuls 3 % de tous les utilisateurs veulent réellement accepter les cookies, mais plus de 90 % peuvent être poussés à cliquer sur le bouton « Accepter ».

En France, la CNIL aussi a fait de ce sujet son cheval de bataille. « Refuser les cookies doit être aussi simple que de les accepter », martèle l’autorité – qui a fini par publier ses lignes directrices sur le sujet à l’automne dernier, en prévenant qu’elle surveillerait et sanctionnerait leur non-respect à compter du 1er avril.

Les éditeurs, qui redoutent de perdre une précieuse manne publicitaire s’ils ne peuvent plus pister les internautes, se sont largement repliés sur des solutions comme le « cookie wall » (une barrière offrant comme alternative au refus des cookies le paiement d’une somme forfaitaire) – dont la légalité doit encore être appréciée – ou encore des mentions peu claires comme un lien « Continuer sans accepter » affiché en haut de la bannière, bien moins en évidence que le bouton « Accepter » – un modèle que la CNIL elle-même a suggéré dans ses recommandations de septembre dernier.

Malgré ces avertissements nombreux et cette lenteur d’exécution, la CNIL fait un constat similaire à celui de Noyb : le RGPD, voté en 2016, n’est toujours pas respecté. L’autorité française a donc mis en demeure fin mai une vingtaine d’organismes, publics et privés. Leur liste pourrait bien s’allonger.

Sébastien Dumoulin – Les Echos

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