Talents : comment les codes du recrutement ont changé

Les entreprises doivent jauger les desiderata de ces perles rares, et trouver les arguments pour les convaincre de les rejoindre dans la durée.

Quatre actifs sur dix envisagent de changer d’emploi pour un travail qui aurait plus de sens, selon un tout récent sondage d’OpinionWay pour l’Anact, l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail, divulgué à l’occasion de l’ouverture de la Semaine pour la qualité de vie au travail, le 20 juin dernier.

Leurs aspirations sont telles qu’ils se montrent toujours plus exigeants en termes de reconnaissance et de réalisation de leur travail, de rémunération, d’épanouissement et de progression professionnelle. Sans compter l’importance qu’ils accordent désormais à leur impact écologique ainsi qu’à la possibilité d’exprimer leur opinion et de se soumettre à des pratiques managériales en accord avec leurs valeurs. De là à les croire en quête de l’entreprise idéale ?

« Ils veulent tout »

« C’est maintenant le moment de gérer les conséquences de la crise sanitaire en étant très à l’écoute des collaborateurs mais aussi en adoptant l’attitude la plus honnête et authentique possible avec eux, car un monde idéal et sans contraintes est impossible », souligne Caroline Guillaumin, la DRH de Société Générale. Aujourd’hui, les collaborateurs veulent tout : de la flexibilité tous azimuts, se sentir utiles, de l’éthique, du choix sur où et comment travailler (même au bout du monde !) bien entendu accompagné de davantage de confiance… Et plus question de suivre aveuglément leurs managers qu’ils aimeraient voir transformés en supercoachs !

Un cadre dirigeant tout juste quinqua – qui gère, au quotidien et en organisation hybride, des télétravailleurs et des collaborateurs sur site – se demande même si le milieu professionnel n’est pas saisi d’une crise d’autorité, au souvenir quelque peu amer, du temps pas si lointain où, partant exceptionnellement entre 18 h 30 et 19 heures, des collègues lui lançaient, goguenards : « Tu prends ton après-midi ? » Magaly Siméon, fondatrice de la start-up Lily Facilite la Vie confie, elle aussi, des souvenirs similaires dans un post sur LinkedIn. « J’ai réussi à mener une carrière dans de grands groupes en rentrant dîner avec mes enfants quasiment tous les soirs. Inévitablement, cela m’a valu des remarques : ‘c’est plus un 4/5e mais un mi-temps !’, ‘tu reviens ?’ » 

Penchants spinozistes

Les choses ont changé. Le travail, qui traditionnellement confère une identité et un statut, offre désormais aussi un moyen – à aligner sur ses propres valeurs – d’avoir de l’impact. En pleine incertitude, après deux ans de crise sanitaire et quelques confinements, les salariés affichent des penchants quasi spinozistes : ils veulent accroître leur puissance d’être pour ainsi trouver des sources de joie et d’épanouissement professionnel.

Les sphères privée et professionnelle s’entremêlant, chacun entend être lui-même au travail. « En échange de ‘vrai’, je m’engagerai, se dit-on désormais. En échange de liens et de liants, j’exprimerai mon talent. En échange d’apprentissage, de considération, de fraternité, je resterai », écrit Emmanuelle Duez, la fondatrice de The Boson Project, dans une chronique pour « Les Echos ». « Cette revendication d’unicité rencontre un monde ultracodé », souligne Cécile Kossoff, directrice de la marque et chargée de la diversité et de l’inclusion pour le groupe Mazars. « En pleine guerre des talents, pour mieux inclure et reconnaître les spécificités individuelles, l’organisation n’a pas d’autre choix que casser ses codes afin de laisser s’exprimer puis cultiver une diversité de styles. Pour son plus grand bénéfice !  »Comprenant que contraindre les talents à la manière d’un Elon Musk peut être contre-productif, des dirigeants d’entreprise cherchent plutôt à leur expliquer, sans ambiguïté, qu’ils peuvent les intégrer en toute flexibilité, les protéger, et les faire progresser.Sujets RSE déterminantsLes questions liées à la raison d’être de l’organisation et à sa responsabilité – notamment sur le terrain environnemental et de la diversité, équité et inclusion – sont, elles aussi, déterminantes pour attirer les perles rares. A condition de ne pas tricher (des litanies de « washing » écornent les réputations).L’entreprise garde sa vocation à demeurer cette « entité impérativement coordonnée » dont parlait Max Weber. Cependant, il lui faut réinventer certaines pratiques managériales pour non seulement former un collectif de travail performant, mais aussi offrir aux collaborateurs l’occasion de contribuer à un projet qui dépasse le cadre de l’organisation pour aussi être utile, même à petite échelle, à la collectivité.

Source Les Echos – Muriel Jazor

Santé au travail : des expositions mal reconnues

Le port de charges lourdes est bien pris en compte par les entreprises, mais les agents biologiques et les horaires atypiques sont sous-estimés.

Dans le cadre de son projet de réforme des retraites, Emmanuel Macron a promis de tenir compte de « l’usure professionnelle » pour permettre aux salariés de cesser plus tôt leur activité. Il a souhaité que les diagnostics soient plus individualisés qu’aujourd’hui, en réinvestissant dans la médecine du travail.

Message reçu dans les services de santé au travail interentreprises. Neuf d’entre eux, sous la houlette du Centre médical interentreprises d’Ile-de-France (CMIE), ont publié mercredi un observatoire de la santé au travail qui présente la particularité de confronter les points de vue des employeurs (49.000 entreprises), des salariés (avec 164.000 questionnaires remplis) et des experts de la santé au travail – ce que personne ne faisait jusqu’à présent.

Résultat, la discordance entre les déclarations d’expositions des uns et des autres est parfois impressionnante. Salariés et employeurs ne sont d’accord que dans 5 à 6 % des cas sur l’existence de nuisances liées à l’éclairage ou aux machines produisant des ultrasons. Plus de huit salariés sur dix déclarent une exposition non-reconnue par leur employeur. La discordance est également prégnante pour le travail en tranchée ou en fosse, ou la présence d’agents biologiques pouvant provoquer une contamination : dans ces deux cas, on note 74 % d’expositions déclarées par le salarié mais non par l’employeur. Pour le travail en équipe alternante, en discontinu ou le week-end, ce ratio est de 69 %.

« Nous pensions que l’appréciation des expositions par les employeurs et les salariés concordaient ; de telles discordances sont anormales et nous conduisent à nous remettre en question », conclut Christophe Garchery, médecin du travail au CMIE.

Insensibles au danger

D’autant plus qu’il n’y a pas d’explication univoque à l’apparente sous-déclaration par les employeurs de certaines expositions. « Il peut y avoir une notion de visibilité du risque », avance-t-il. Ainsi, le port de charges lourdes, qui est un facteur de pénibilité reconnu par la loi (47 % de déclarations concordantes), est plus visible que le travail du week-end (26 % de concordance). Ces divergences illustrent l’échelle de gravité perçue des risques, toute en subjectivité : les employeurs ne semblent pas trop croire au péril des ultrasons ou des tranchées. Les employés, quant à eux, sont peu sensibles au danger du travail en hauteur, puisque dans 31 % des cas, un facteur d’exposition est déclaré par l’entreprise, mais pas par eux !

Troisième facteur explicatif : la polyexposition, mal prise en compte aujourd’hui. « Parfois, l’employeur peut être focalisé sur un risque, par exemple la manutention, et oublier le travail du week-end », souligne Christophe Garchery. Les auteurs de l’observatoire comptent actualiser chaque année leur observatoire, et s’en servir notamment pour mieux détecter les polyexpositions.

Source Les Echos – Solveig Godeluck

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