Les jeunes, premier levier de transformation des organisations

Dans un pacte intergénérationnel, la jeunesse fait partie de l’équation de la résilience, selon Emmanuelle Duez, la fondatrice de The Boson Project et de Youth Forever.

Trois ans après la survenue de la pandémie de Covid-19, certains dirigeants attendent encore que l’on sorte du cluster de complexité et de crise qui s’éternise. Et rechignent à se dire qu’un nouveau paradigme du business est advenu et que rien ne sera plus jamais comme auparavant.

« Le temps des bulles va s’accélérer. Quant au rapport à l’engagement par le travail, il va être de plus en plus fragile, subtil et ténu au fur et à mesure que les vagues de chaleur vont s’amplifier. Tout cela sera dur à accepter et difficile à verbaliser pour les cohortes de talents qui arrivent en entreprise ; ces sujets tellement émotionnels génèrent bien des crispations chez les dirigeants du monde économique comme chez les travailleurs », relève Emmanuelle Duez, fondatrice de The Boson Project et de Youth Forever.

Bien évidemment, les conseils d’administration ont pris conscience que le monde avait changé. « De Petite Poucette à l’intelligence artificielle , la transition digitale fait l’effet d’une tornade. Quant à la situation géopolitique, elle pourrait faire basculer le monde en un ‘1939-1945’ en une fraction de seconde », estime la dirigeante trentenaire. Ce à quoi s’ajoutent les effets de la pandémie et de la t ransition environnementale et énergétique qui – « de Greta [Thunberg] à aujourd’hui, des débats d’experts à une prise de conscience généralisée – placent le monde du business en avance de phase », poursuit celle dont le nom figurait dans le « Thinkers50 Radar Class » de 2019, un recensement mondial de 30 personnalités aux idées iconoclastes en termes de leadership, business et management.

Une situation de « permacrise », dirait Christopher Guérin, le PDG de Nexans, qui superpose les ruptures, les transitions, les fractures et les changements de paradigme. Avec, en ligne de mire, une jeune génération à probablement considérer comme le premier levier de transformation des organisations.

Les mutations d’entreprises se faisant désormais impérieuses, il va falloir créer, pour les trente prochaines années et à l’intérieur du corps social, « des armées de talents à focaliser sur les transformations, des gardiens de la résilience sur le temps long ». Et une telle vision à très long terme implique nécessairementl’intergénérationnel.Or la vieille antienne est d’arguer que les jeunes n’ont plus le goût de l’effort. En vérité, la guerre des talents dissimule une crise de l’engagement, nourrie par un monde du travail qui n’a plus de sens pour les jeunes générations. Une approche managériale intergénérationnelle devrait y remédier et permettre de repérer les jeunes hommes et femmes qui ont envie de faire bouger les lignes. « Les m oins de 25 ans, ceux de la Gen Z, représentent 32 % de la population mondiale. Une partie d’entre eux entretient vis-à-vis du monde du travail un rapport extrêmement singulier. Cette génération est prête à s’engager – si on lui fait confiance ‘pour de vrai’ – parce qu’elle sera l’architecte, à travers le milieu économique, du monde de demain », prévient l’entrepreneuse.

Un impératif d’utilité

Si ces jeunes entretiennent un rapport méfiant et très exigeant avec le milieu économique, ils le considèrent néanmoins comme le premier territoire de transformation systémique de notre société. L’Oréal, Decathlon, Crédit Agricole, groupe Mulliez, BNP Paribas et d’autres entreprises (y compris des PME comme Hénaff, par exemple), en avance de phase et dotées d’un actionnariat de long terme, l’ont bien compris.

« La jeune génération est prête à accompagner la bascule des entreprises vers celle du monde dès lors qu’il s’agit, à ses yeux, de le faire d’une manière utile et non statutaire. Car ces jeunes se disent que si un impératif d’utilité les habite, cela vaut la peine alors de travailler huit heures par jour, parfois dix heures ou plus, quarante ans de sa vie », observe Emmanuelle Duez.

Encore faut-il parvenir à dépasser le principal mal de l’époque : le court-termisme. Car il va falloir repenser le rapport à l’emploi sur le temps très long et réinventer des contrats à durée indéterminée en vue des transformations à opérer sur les dix à trente ans à venir.

Source Les Echos Muriel Jasor

Managers, vous ne déciderez plus jamais comme auparavant

Devant désormais se comporter en coach et psy- en plus du reste -, le manager a la charge de faire grandir ses équipes, de s’assurer de leur bien-être et de créer la confiance dans un monde très incertain. Autant de décisions à prendre, parfois sans véritable marge de manoeuvre. Comment réagir lorsque des accords collectifs de télétravail réduisent la décision managériale au choix des jours de présence au bureau ?

Quel champ décisionnel reste-t-il aux managers ? Sont-ils en mesure de décider comme auparavant ? Pour les aider, au moins trois pistes gagnent à être explorées. Tout d’abord, les managers doivent bien percevoir l’environnement. On décide différemment, selon que le monde est stable et prévisible ou éruptif.

Le monde Vuca – à la fois volatil, incertain, complexe et ambigu – a cédé sa place à un autre, lui aussi affublé d’un acronyme : Bani ou Fani – en français – pour friable, anxiogène, non linéaire et incompréhensible.

Ce monde comporte une composante émotionnelle, l’anxiété, qui se manifeste par des souffrances psychiques chez les décideurs, mais aussi chez leurs clients et leurs équipes. En contexte incertain, l’utilisation des outils de l’intelligence émotionnelle est d’un grand secours. L’émotion est un indicateur, un voyant lumineux qui donne de l’information.

Mais prendre des décisions revient à marcher sur des oeufs. Ainsi, dans une entreprise de services, une pétition a circulé parce qu’un manager avait imposé aux collaborateurs de se placer, librement, au même étage que celui de leur chef. Initialement pleine de bon sens, cette décision s’est avérée une erreur en contexte anxiogène, quand tout devient sensible. La consultation s’impose – quand bien même ralentirait-elle la prise de décision – pour justement rendre ce qui est décidé plus acceptable et donc pérenne.

L’intelligence émotionnelle comme alliée

Mais accueillir l’émotion lorsqu’elle surgit – la sienne ou celle de ses collaborateurs – ne suffit pas. Il convient de la relier à la pyramide des besoins ou de Maslow [qui hiérarchise les besoins des individus et en recense cinq : les besoins physiologiques, ceux de sécurité, d’appartenance, d’estime et d’accomplissement, NDLR], car l’émotion parle d’un besoin satisfait ou non.

Un manager devra ainsi comprendre si l’éventuelle peur ressentie par ses équipes se réfère à un besoin de sécurité (émotionnelle ou physique) ou d’appartenance, qui est un besoin plus social.

Les décisions qu’il aura à prendre ne sont pas du tout les mêmes, selon la nature du besoin. Et gare à la tentation de nier l’émotion, elle n’en reviendra que plus forte ! En matière de révolution au travail, l’impact de l’intelligence artificielle (IA) va vivement se faire ressentir. Comme pour la voiture autonome, une partie des décisions de l’entreprise est progressivement déléguée à la machine intelligente.

Récemment, un jeune ingénieur en recherche de stage a passé son premier entretien avec un robot. Mais, déçu de ne pas avoir convaincu l’IA, il n’aura jamais de débriefing. L’intelligence artificielle remplace progressivement la capacité humaine non pas à décider mais au moins à choisir parmi un nombre d’options déjà réduit. Il reste ensuite au décideur à développer sa propre « marque de fabrique » : une sorte de justesse décisionnelle. Comment ? En la nourrissant de ce qui le fonde : ses valeurs, sa richesse intérieure et sa capacité à ressentir les émotions comme les situations.

Source Les Echos Marine Balansard

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