RH : le « monde d’après », c’est maintenant !

Ressources humainesTélétravail, travail hybride, tiers-lieux, demande accrue de « soft skills »… Après la crise du Covid, de nouvelles pratiques ont envahi les entreprises. Les managers sont confrontés à des défis humains, mais aussi technologiques et sociétaux.

Plus de flexibilité, moins de micromanagement, mais pas nécessairement plus de télétravail… Deux ans après le premier confinement, qui a fait naître chez de nombreux salariés un goût certain pour l’autonomie, un panachage de télétravail et de présence sur site parachève – en les rendant hybrides – les organisations de travail.

Face aux attentes, voire aux exigences des salariés, et compte tenu de leur système opérationnel, les entreprises stabilisent le temps de télétravail à deux jours par semaine. Tendance que corrobore une dernière enquête réalisée parl’ANDRH, l’Association nationale des professionnels des ressources humaines (RH), en partenariat avec le cabinet de conseil en stratégie BCG.

Mais quand 76 % des sondés pensent que proposer des modalités hybrides est important, voire indispensable, la professeure de la London Business School Lynda Gratton va plus loin en jugeant le travail hybride « irréversible » dans son dernier ouvrage, « Redesigning Work », fruit d’années de recherche sur le sujet.

Les organisations ne sont encore qu’au milieu du gué : il leur reste à sensiblement faire évoluer leurs pratiques managériales. Justement, cette évolution est, avec l’organisation du travail, un des deux chantiers que les professionnels des RH jugent prioritaires. Mais si la mission des managers évolue, des éléments fondamentaux – ceux pointés par Peter Drucker, le père du management – demeurent : définir la mission d’une entité, fixer des objectifs clairs, analyser et organiser le travail, informer et écouter ses salariés, évaluer les résultats au moyen de normes spécifiques, fiables et pérennes et former les collaborateurs.

« Ce qui change ? C’est qu’il est aujourd’hui demandé au manager plus de proactivité pour renforcer le collectif de travail », relève Bénédicte Bahier, la directrice des ressources humaines (DRH) du groupe Legrand chez qui, dans le contexte actuel, la grande majorité des collaborateurs éligibles pratiquent le télétravail deux à trois jours par semaine, une minorité à 100 % et d’autres ponctuellement pour la réalisation de tâches administratives. « Sans antagonisme entre ceux qui télétravaillent et ceux qui ne le peuvent pas », précise-t-elle.

« Quand un collectif s’appuie sur de l’humain et de l’informel, le souci permanent du manager doit être de connecter les gens entre eux. Et quand, dans l’organisation, 90 % des salariés pratiquent le télétravail deux à trois jours par semaine, il lui faut savoir qui est là et quand, prévoir la présence de collaborateurs seniors pour accueillir les juniors ou encore planifier les réunions les plus importantes », souligne Cécile Deman-Enel, DRH d’Unités chez Allianz France.

« Le télétravail à la fois complexifie et simplifie la tâche du manager », résume Jean-Sébastien Blanc, directeur général adjoint en charge des RH du groupe Engie. « Formaliser de l’informel et planifier des interactions est plus difficile. La performance, malgré plus de flexibilité, peut d’ailleurs s’en trouver dégradée quand ce que l’on faisait auparavant de manière informelle en dix minutes demande parfois une demi-journée du fait des contraintes d’agenda. En revanche, la dimension ‘contrôlante’ du manager s’amoindrit grâce à la délégation, qui lui permet d’amener le collectif à produire plus et mieux grâce à sa capacité à créer de la relation et à transmettre un enthousiasme et du sens », explique-t-il.

Virages stratégiques

La délégation est la deuxième priorité (la sixième en 2020) – derrière « donner du sens et motiver » – citée par l’étude ANDRH/BCG. « Savoir déléguer est une évidence : un manager qui porterait tous les rôles serait vite en surcharge, lance Cécile Deman-Enel. Rendre de l’autonomie aux collaborateurs revient à leur attribuer des rôles nouveaux dans la vie de l’équipe pour qu’ils se sentent pleinement acteurs au sein de l’entreprise. » Mais pas de délégation sans un climat de confiance, un droit à l’erreur et une pratique de retours d’expérience. Se reposer sur la seule technologie serait une erreur – encore plus si on l’orne de logiciels espions des salariés -, les comportements managériaux doivent s’adapter. Cependant, sur quantité de fronts, la tâche des managers se complique, car ils se retrouvent à négocier de nombreux virages stratégiques.

Développer les « soft skills »

En premier, la transformation du travail – qui intègre le télétravail, la quête de sens et d’utilité des salariés, mais aussi la gestion de leur santé mentale et des impacts de la crise sanitaire. A cela s’ajoutent non seulement des mutations technologiques, mais aussi sociétales et environnementales. Ainsi qu’inévitablement les conséquences de soubresauts d’ordre géopolitique, financier, économique, concurrentiel, climatique… « Les gens ne réagissent pas rationnellement, mais émotionnellement aux changements majeurs », rappelle David Johnson, analyste principal chez Forrester. Pour les aider, il faut « écouter leurs préoccupations avec empathie et compassion, et demander leur aide pour gérer le changement avec eux ».

Communication, empathie, humilité, écoute… L’expression de ces aptitudes comportementales, celles que le jargon professionnel désigne par « soft skills », se fait incontournable. Outre des formations classiques de développement des qualités relationnelles ou de sensibilisation aux biais de raisonnement, les entreprises s’emploient à innover dans l’accompagnement des managers. « Cela concerne aussi les experts. Ceux qui ne savent pas communiquer avec aisance sont extrêmement gênés aujourd’hui », relève Cécile Deman-Enel. C’est ce qui a encouragé Allianz France à créer une première communauté autour de la data et de l’actuariat début 2022. L’objectif ainsi poursuivi est de les aider à vulgariser leur savoir. « Les experts ont besoin d’apprendre à développer leur influence au sein de l’organisation et à monter en compétence en termes de management », insiste la DRH.

Donner du feedback

Chez Legrand, des groupes partagés confrontent les points de vue de managers de différents services sur des sujets précis comme le télétravail et, depuis deux ans, des ateliers de codéveloppement incluent des jeux de rôles, des échanges de bonnes pratiques et des mises en situation. Même principe chez Allianz France, avec des ateliers entre pairs autour d’un vice-président RH et d’un formateur.

« Le bon manager est la personne qui, trouvant un bon compromis entre bienveillance et exigence, échange régulièrement avec les équipes, et comprend que c’est un investissement primordial », définit Jean-Sébastien Blanc. Il exerce aussi ce talent rare de donner du « feedback » (troisième priorité, citée par l’enquête ANDRH/BCG). Autrement dit, de reconnaître et apprécier le travail accompli ; ce qui revient à complimenter, mais aussi à dire, sans blesser mais avec honnêteté, quand ça ne va pas. Une forme de reconnaissance très attendue des collaborateurs, surtout des plus jeunes.

Réajuster régulièrement

Tout nouveau manager a le désir de bien faire – les pervers existent, mais ne sont pas légion. Les choses se gâtent souvent en raison d’un phénomène systémique. Aider les gens à faire face aux changements ou à s’en remettre « est l’une des compétences des bons managers, mais c’est aussi l’une des composantes de la culture organisationnelle et l’une des façons dont les organisations peuvent se différencier en tant qu’employeurs », prévient David Johnson. Nombre de managers restent dans l’incertitude d’être soutenus par leur direction générale, sont parfois pris dans des jeux politiques qui les dépassent ou ne reçoivent ni reconnaissance ni directives claires (ou bien celles-ci sont déconnectées du terrain), ce qui finit par engendrer des dysfonctionnements et de la méfiance au sein de leurs équipes. Et qui explique, à force de devoir gérer (ou non) les désillusions des collaborateurs et les leurs, pourquoi nombre d’entre eux se détournent de leur fonction.

« Trop de reporting, il faut leur redonner du temps managérial », diagnostique puis conseille Florence Dupré, présidente, en France, du leader des technologies, services et solutions pour le secteur médical Medtronic. La dirigeante met aussi en garde contre un phénomène dit de « sticky floor ». « Une propension à maintenir longtemps, au même poste, des personnes qui donnent entière satisfaction mais qui, à terme, peut se révéler délétère. Il faut faire grandir les gens et avoir une attitude motivante », décode-t-elle.

L’entreprise reste cependant un solide point de repère et le demeurera si, insiste Cécile Deman-Enel, « en contrepartie du télétravail à la maison ou dans un tiers-lieu et d’une présence au bureau désormais dépourvue d’habitudes quotidiennes, des réajustements réguliers se font en temps réel. »

Source Les Echos Muriel Jasor

Comment les salariés zombies sont devenus le nouveau fléau des PME

L’arrêt de l’expérience du télétravail et le retour brutal au bureau ont engendré une hausse du « brown-out », c’est-à-dire de la démotivation liée à une perte de sens au travail. Un phénomène qui pourrait en partie expliquer l’essor de l’absentéisme et des démissions constaté en 2021.

On connaissait déjà le burn-out, l’épuisement mental et physique entraîné par une surcharge de travail ; ou encore le bore-out, l’ennui causé par une sous-occupation chronique. Voilà que les managers doivent ajouter un troisième anglicisme au catalogue des menaces pesant sur la santé de leurs collaborateurs : le brown-out, ou le désinvestissement lié à la perte de sens au travail. Le problème n’est, certes, pas nouveau. Il y a dix ans, l’anthropologue David Graeber en faisait l’un des corollaires du développement des « bullshit jobs », les métiers inutiles issus du progrès technologique. « Avec la crise sanitaire, les fonctions support, les métiers de l’informatique, du juridique, des ressources humaines ont été particulièrement exposés », souligne Clotilde Lizion, psychologue spécialisée en santé mentale en entreprise et cofondatrice du cabinet parisien LCCL Prévention Active.

Un mal silencieux

Plus insidieux que le surmenage, le désinvestissement est particulièrement difficile à appréhender. Aucune étude ne quantifie d’ailleurs le nombre de salariés touchés. Seuls des sondages, réalisés par des cabinets conseil, permettent d’estimer l’ampleur du mal.

« Selon nos statistiques, 62 % des personnes que nous accompagnons déclarent ne pas se sentir réellement utiles dans leur travail, alors que 78 % estiment cet objectif important, voire primordial. Cette différence est à l’origine de ce que nous appelons la démission mentale », explique Ludovic de Gromard, PDG de la start-up Chance, spécialisée dans la réorientation professionnelle.

S’il est plus difficile à repérer, les conséquences du brown-out n’en sont pas moins dramatiques pour le salarié, qui peut mettre de longues semaines à expliquer l’origine de sa perte de motivation, son irritabilité grandissante, ou ses troubles anxieux, voire dépressifs. « Courir d’un patient à l’autre, supporter leur humeur et se demander tous les jours pourquoi… J’ai craqué et finalement tout plaqué pour suivre une formation en création d’entreprise avec l’espoir d’ouvrir un commerce », témoigne Matthieu, infirmier libéral en cabinet, dans la Somme. L’exemple est loin d’être isolé, notamment chez les jeunes salariés, y compris les alternants, particulièrement malmenés par la crise.

« Dans nos métiers, le Covid-19 a accentué le phénomène, en particulier chez les jeunes en télétravail, témoigne Jean-Philippe Porcherot, directeur général d’Atol conseils et développements, une entreprise de services informatiques de 190 salariés, basée à Dijon. Le salaire n’est plus la seule motivation des salariés. Le sens, l’impact social, environnemental de l’entreprise, le cadre de vie, sont devenus des facteurs majeurs d’implication. Nous devons répondre à ces exigences, via un management plus personnalisé », poursuit le dirigeant.

Temps de travail inutile

Problème : durant les confinements, notamment le premier, l’instauration précipitée du télétravail a plutôt poussé les responsables RH à adopter des stratégies de contrôle, de micromanagement, en multipliant notamment les visioconférences pour entretenir la motivation des troupes. « Cela a eu l’effet inverse en ajoutant du temps de travail inutile à la réalisation des tâches quotidiennes, et donc posé la question du sens », analyse Clotilde Lizion. Après deux ans de télétravail, pour certains salariés le retour à la vie d’avant s’est avéré difficile.

« Des employeurs ont eu du mal à enclencher un mode de fonctionnement hybride et ont imposé, de manière unilatérale, un retour au bureau. Cela a généré de l’incompréhension, donc de la démotivation, chez les salariés qui pour certains se sont transformés en ‘salariés zombies’, présents physiquement mais absents mentalement de l’entreprise », complète Laurent Termignon, directeur de l’activité Organisation & Rewards WTW France (ex-Gras Savoye).

Selon les études menées par le spécialiste de l’assurance et du conseil RH, les conséquences sont palpables : en 2020, le taux d’absentéisme a bondi de 20 % par rapport à 2019.

Pis  : d’après les statistiques de la Dares, les démissions ont explosé en 2021 par rapport à 2019 : de + 10 % à + 20 % selon la taille de l’entreprise, notamment chez les salariés « précédemment en activité partielle », souligne le ministère du Travail.

Source Les Echos Guillaume Roussange 

La disparition spontanée, l’autre cauchemar du DRH

La remise en cause du management se traduit par une multiplication des démissions, voire des abandons de poste.

Dans la galerie des cauchemars du DRH, il y a le salarié « zombie », présent seulement physiquement dans l’entreprise. Mais il y a pire : le salarié « fantôme », celui qui peut disparaître du jour au lendemain, avant même, parfois, que son embauche ne soit définitive. Déjà connu au sein des filières réputées difficiles (le bâtiment ou la restauration), le phénomène – désigné sous le terme de ghosting dans les pays anglo-saxons – a gagné avec la crise sanitaire, du terrain dans les professions tertiaires, y compris chez les cadres.

Selon les cabinets RH, la pratique concernerait désormais au moins un profil sur dix dans les secteurs traditionnels, bien plus dans les métiers ultrademandés, comme les développeurs informatiques. Problème : ces phénomènes de disparition spontanée se poursuivent une fois le salarié en poste. La situation peut rapidement tourner à l’enfer pour les dirigeants de PME, qui privés de leur salarié, doivent en outre multiplier les démarches juridiques chronophages pour licencier… le « démissionnaire ».

Un profil sur dix

Si les entreprises se refusent souvent à en parler ouvertement, les témoignages de cas se multiplient sur LinkedIn depuis la fin de la crise sanitaire. Ainsi de ce responsable RH ayant appris – par téléphone – qu’un salarié en télétravail ne pourrait revenir au bureau, celui-ci ayant déménagé en Outre-mer. Ou cet autre, qui découvre la voiture de son commercial garée sur le parking, ordinateur dans le coffre, sans plus d’explication.

Sans compter les multiples anecdotes de recruteurs s’étant fait « poser un lapin » le jour de l’entretien. « Un de mes clients dans l’hôtellerie-restauration a récemment retenu deux candidats pour un poste d’accueil. Aucun n’est venu à l’entretien, sans même prendre la peine de prévenir », témoigne un responsable parisien d’une agence de communication.

Selon les observateurs, la crise, et désormais la guerre aux portes de l’Europe, ont rebattu les cartes de la hiérarchie des valeurs en entreprise et contribué à « une prise de distance, tout en reposant la question du sens du travail », selon Isabelle Barth, professeure de sciences de la gestion, à l’université de Strasbourg et animatrice de la chaîne Stratégie et management de Xerfi Canal.

Dans les deux sens

Pour la chercheuse, le phénomène illustre une « forme de revanche » des salariés, dans un contexte d’emploi plus favorable, vis-à-vis de managers aux méthodes discutables. « Combien de postulants ne reçoivent même pas une réponse lors d’une candidature ? Le ghosting s’exerce dans les deux sens », insiste Isabelle Barth, qui note également la transformation chez les jeunes des références, les rôles modèles dans le langage managérial.

« Les influenceurs ou les streamers imposent de plus en plus l’image de métiers passion, sans effort apparent, qui changent le rapport à la valeur travail. Les managers doivent le prendre en compte. »

Source Les Echos G.R.

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