Talents : avez-vous pensé aux salariés boomerang ?

ESSOURCES HUMAINES Difficultés de recrutement, carrières hétéroclites, obsolescence des compétences… Les entreprises françaises vont devoir renouer avec leurs salariés démissionnaires.

C’est cette jeune responsable de la communication, démissionnaire, qui a sincèrement souhaité devenir professeure des écoles, avant de se raviser et de recontacter l’agence qui l’avait employée pour à nouveau poursuivre sa carrière dans la com. C’est aussi cet ingénieur pas encore quadra, à la pointe des nouvelles technologies, qui mesure son faible sens commercial pour développer le chiffre d’affaires de l’entreprise écoresponsable qu’il a créée au sortir du confinement. Comme eux, nombre de salariés, en crise existentielle depuis la survenue du Covid, démissionnent… puis le regrettent. La situation est spectaculaire aux Etats-Unis, mais la France n’est pas en reste.

« Dans l’Hexagone, 63 % des démissionnaires jugent avoir fait un choix précipité », relève Rémi Malenfant, directeur de l’innovation ressources humaines (RH) et de l’expérience client, à l’appui d’une étude mondiale menée par UKG, son employeur éditeur de logiciels RH. « Les entreprises à culture forte et/ou à dominante familiale sont très réfractaires à réintégrer des démissionnaires, qui ont en quelque sorte quitté la famille et suscité, en interne, des réactions très émotionnelles », rappelle Marc François-Brazier, un ancien directeur des ressources humaines (DRH) aujourd’hui président de Solvitur Ambulando Evolution. Les positions des sociétés, qui cherchent désespérément à recruter, devraient toutefois évoluer vers la reconsidération de ces profils « boomerang », sur fond de rotation accélérée des effectifs et d’obsolescence rapide des compétences.

Pas d’esprit mercenaire

« Pour moi qui ai changé six ou sept fois de poste et connu un aller-retour, je n’ai aucune réticence à réintégrer des démissionnaires. Dernièrement, j’ai dit à l’un d’eux que j’espérais le revoir dans trois ans », s’exclame la DRH d’un groupe du CAC 40. « Une démission n’est pas un acte de déloyauté, c’est décider de grandir peut-être plus vite. Les plus jeunes partent sans se retourner. Si regrets il y a, ils s’expriment plutôt du côté des trentenaires et quadras », poursuit-elle. Que regrettent-ils ? Selon l’étude UKG, leurs collègues pour 38 % puis, à 31 %, le confort lié à leur poste. Seuls 19 % pensent à leur salaire antérieur.

Mais qui réintégrer ? « Ceux qui sont partis en bons termes, donc pas de licenciés. Ni du reste de bénéficiaires de ruptures conventionnelles, car il serait malvenu de jouer sur tous les tableaux », estime la DRH. « Il importe de bien soigner les conditions et la communication en interne du retour. L’objectif étant qu’un départ ne soit pas perçu, par ceux qui restent et auxquels nous prêtons la plus grande attention, comme un levier de promotion », souligne Jérôme Pierucci, président-fondateur du cabinet de conseil en organisation PeersGroup, soucieux de ne pas encourager d’esprit mercenaire.

L’entreprise réintègre ainsi des salariés, motivés par un nouveau défi, enrichis d’expériences nouvelles et vite opérationnels. « En revenant chez Danone, j’ai eu l’impression de rentrer chez moi », avait témoigné la pas-encore-ministre Muriel Pénicaud, partie – au bout de neuf ans passés au sein du géant français de l’alimentation – chez Dassault Systèmes puis rappelée par Franck Riboud pour devenir directrice générale des ressources humaines de Danone, et enfin entrer au comité exécutif. « A long terme toutefois, les salariés boomerang ne sont pas plus performants que les autres et, étant déjà partis, ils présentent plus de risques de recommencer », observe Marc François-Brazier, aussi senior advisor chez Deloitte.

Faire des « exit interviews »

Bien entendu, la capacité à retenir les talents prévaut. « Mais quand cela s’avère impossible, il est crucial de tenir une exit interview », prévient la DRH. Trop d’entreprises s’en affranchissent. Or, qu’ils deviennent à terme « salariés boomerang » ou bien ambassadeurs, il importe vraiment de soigner les collaborateurs qui s’en vont. Ainsi apprend-on, selon UKG, que quand 49 % partent pour un salaire supérieur, en moyenne, de 15 %, plus de la moitié invoquent d’autres motifs (absence de reconnaissance, burn-out, mésententes…). Ces indications quant à l’état d’esprit du départ sont précieuses pour déclencher ou non un retour.

De quoi encore plus pousser les entreprises à repenser leur politique d’acquisition de talents, à cultiver les liens avec leurs anciens salariés, et surtout à anticiper les métiers avec un horizon de trois à cinq ans.

Muriel Jasor

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