Comment détecter les fraudeurs et les criminels en col blanc

Un grand groupe français s’engage dans une relation à long terme avec un partenaire individuel sans effectuer les recherches préalables sur la réputation de ce dernier. Quelque temps après, l’entreprise constate que ce prestataire a détourné des informations et a déposé plusieurs brevets pour des inventions développées par le groupe.

Cette histoire est racontée dans une note de mai 2021 de la direction générale de la sécurité intérieure. Elle peut concerner des grands groupes mais aussi des PME, notamment celles du secteur high-tech, qui recherchent des investisseurs. Les fraudeurs et membres du crime organisé savent jouer des opportunités offertes par la globalisation pour masquer l’origine des fonds dont ils disposent et les blanchir.

Or différentes études académiques en sciences de gestion montrent l’inefficacité des méthodes traditionnelles de compliance. Julien Le Maux, d’HEC Montréal, Nadia Smaili, de l’école des sciences de la gestion de Montréal (ESG Uqam), et Walid Ben Amar, de l’université d’Ottawa, soulignent qu’il n’est pas prouvé qu’un comité d’audit efficace ou un conseil d’administration motivé réduise la possibilité de fraude. De même, rien ne prouve que la présence d’un actionnaire dominant-dirigeant, donc avec un pouvoir décisionnel majeur, diminue la possibilité de crime en col blanc. Ces chercheurs minimisent également le rôle des auditeurs dans la lutte contre le crime économique. En définitive, démontre Grégory Moscato, de l’International University of Monaco, la complexité des dynamiques de marchés et la présence d’asymétries informationnelles ne peuvent s’accommoder des méthodes traditionnelles.

Evidemment, les entreprises peuvent demander l’aide des services officiels, comme la DGSI, la direction générale de la sécurité intérieure. Cependant, ces administrations ne s’intéressent, et c’est bien leur mission, qu’aux entreprises grandes et petites dont le rôle est stratégique pour l’économie du pays. De plus, l’historienne Laurence Badel, de l’université Panthéon-Sorbonne, souligne que jamais la coordination et le transfert d’information du public au privé n’ont pu être vraiment organisés.

Une «fonction renseignement»

L’entreprise se retrouve donc seule. Elle doit, en conséquence, mettre en place une fonction renseignement, comme le propose Jonathan Calof, de l’université d’Ottawa, avec un directeur administratif et financier ou un secrétaire général, seul ou accompagné d’un ou deux collaborateurs travaillant avec des consultants extérieurs. Cette structuration souple permet de suivre l’environnement de l’entreprise avec efficacité, au moindre coût et en gardant quelques indices en tête. Donald Cressey, de l’University of California à Santa Barbara, a mis en évidence les trois critères qui définissent le criminel en col blanc : il connaît une pression financière qu’il ne peut partager en raison d’un ego surdimensionné ; il bénéficie d’une opportunité de réaliser une action frauduleuse ; il parvient à se convaincre que son acte n’est pas criminel.

Après, la question essentielle sera d’intégrer les résultats de l’enquête à l’agenda informationnel du dirigeant afin que soient prises des décisions. Et là, commence une autre histoire…

Source Les Echos – Pascal Junghans

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