Conseil, audit, cabinets d’avocats : pourquoi si peu de dirigeantes ?
GouvernanceMalgré quelques avancées notables, la féminisation des instances dirigeantes reste à la traîne au sein des services professionnels. Explications et proposition de solutions.
Pour quelles raisons les structures de services professionnels, autrement dit les cabinets d’avocats, d’audit et de conseil, comptent-elles si peu de dirigeantes ? Voilà un sujet à soumettre aux Assises de la parité, qui ouvrent leurs portes virtuelles aujourd’hui. Quelques timides signes de progression se sont toutefois récemment fait sentir. Ainsi, le 1er mai dernier, la Française Marie-Aimée de Dampierre a été nommée « Chair » du cabinet d’avocats Hogan Lovells. Une première au sein de cette firme de 800 associés dont le double siège est basé à Londres et à Washington. Cette nomination suit celle, inédite à la tête de Freshfields Bruckhaus Deringer, de l’Australienne Georgia Dawson. Et cette dernière ne devrait bientôt plus être la seule dirigeante du « Magic Circle », un club de cinq cabinets d’avocats internationaux d’origine britannique, puisque chez Linklaters, trois femmes restent en lice pour diriger la firme.
Se retirer de la compétition
« Leur nomination rend ces talents féminins, d’un coup, très visibles et répond aux demandes insistantes de clients soucieux de responsabilité sociale d’entreprise et donc de parité », estime Caroline Oulié, associée du cabinet de chasse de têtes Boyden, une structure justement très féminisée. « Mais, chez les avocats, pour une femme nommée, on ne compte guère, à ses côtés, que 3 ou 4 associées pour une trentaine d’hommes alors que la profession est des plus mixtes. » La parité n’est pas non plus au rendez-vous en audit et conseil puisque Marie Guillemot, présidente du directoire de KPMG en France (là encore, une première) se retrouve, au sommet, avec une équipe d’hommes.
Les services professionnels incluent des métiers de projets et de passion, qui comportent beaucoup de contraintes. Plus le cabinet est prestigieux, plus ses honoraires sont élevés, plus les clients sont exigeants et plus la voie du partnership est rude. Résultat, le chemin menant au rang d’associée étant difficile à concilier avec une vie de famille, certaines femmes préfèrent se retirer d’elles-mêmes de la compétition et intégrer une entreprise, souvent d’ailleurs cliente de leur cabinet.
« Leur tâche n’est pas plus facile en entreprise, mais elles peuvent mieux s’y organiser. Souvent, en cabinet, un travail urgent peut les mobiliser une bonne partie de leur soirée ou il peut leur être demandé, du jour au lendemain, de mobiliser toute une semaine voire plus, pour des déplacements [hors pandémie bien sûr, NDLR]. C’est formidable à 25-30 ans mais, à un moment, cela prend la forme d’énormes sacrifices et devient usant », éclaire la chasseuse de têtes. Cela explique, en partie, pourquoi il y a plus de femmes dans les comités de direction d’entreprises (mais pas encore suffisamment) que dans les groupes d’associés de cabinets.
« J’ai commencé à travailler à vingt-trois ans avec la détermination farouche de réussir et de construire ma carrière avant trente-cinq ans » , se remémore Marie-Aimée de Dampierre, qui a successivement été responsable de l’équipe propriété intellectuelle, médias et technologies à Paris puis managing partner du bureau français (aujourd’hui dirigé par Xenia Legendre) avant de prendre des responsabilités internationales. « Bien choisir son conjoint est important : mon mari m’a beaucoup aidée. » Mais, sauf exception, le désir ardent de réussir est une chose, la possibilité d’y parvenir, une autre. C’est difficile, y compris pour celles qui génèrent de la clientèle, produisent du chiffre d’affaires et parviennent à se plier à des horaires exigeants. Mentoring, sponsoring, networking, formation, accompagnement… S’ils veulent changer les choses, les cabinets doivent impérativement adopter une démarche proactive et inclusive.
Sensibles au prestige
« J’ai, par exemple, des rendez-vous téléphoniques mensuels avec quatre ‘mentees’ – femmes et hommes sélectionnés, selon leur profil, par les ressources humaines – qui me font part de leurs projets et à qui je prodigue des conseils », illustre Florence Ferraton, la patronne de Russell Reynolds à Paris. Comme les hommes, les femmes sont sensibles au prestige, à l’argent et à la capacité d’influence, mais elles se posent davantage de questions quant à la nature et à l’impact de leurs missions.
La dirigeante de l’entité française du cabinet de conseil en stratégie Bain & Company l’a bien compris : « Accélération, décélération, break, accélération… Pouvoir créer un environnement de travail qui motive les femmes et moduler leurs parcours de carrière en fonction des phases de leur vie est essentiel », insiste Ada Di Marzo dont l’équipe de direction, à 40 % féminine, comprend 26 % d’associées. Exception de taille quand la moyenne du secteur plafonne à 13-15 % et belle preuve que, si on y est déterminé, la rétention des talents féminins reste possible dans ces métiers.
Muriel Jasor – Les Echos
top