Les « bonnes raisons » qui bloquent les projets de transformation

InnovationDerrière des freins au changement – prétendument individuels – se dissimule, le plus souvent, un problème systémique, organisationnel, collectif, émotionnel…

Quels facteurs bloquent les projets de transformation des entreprises ? Un premier réflexe nous porte à répondre en ciblant de potentiels « coupables » : c’est la faute des commerciaux, des managers intermédiaires ou de tels collaborateurs, qui arguent « ne pas avoir signé pour ça » et qui « résistent au changement »… C’est oublier que sous les freins prétendument individuels se dissimule, le plus souvent, un problème systémique, organisationnel, collectif, émotionnel…

Il n’y a pas qu’un mais plusieurs niveaux d’explication d’une résistance aux transformations : l’environnement, l’entreprise, les équipes, les collaborateurs, aussi le dirigeant dont le style influe sur le fonctionnement de l’entreprise.

Penser que livrer, une bonne fois pour toutes, l’explication rationnelle d’un projet d’ampleur le met définitivement sur ses rails est illusoire. Cela ne résoudra, par exemple, pas le problème d’un vendeur quotidiennement confronté à un niveau de stock trop faible, décidé par une société-mère soucieuse de réduire son besoin en fonds de roulement (le décalage entre dépenses et recettes).

« Quand d es résultats sont en recul, cherchons d’abord à comprendre la dynamique d’une activité avant de blâmer des individus (‘Les choses iraient mieux si tu…’) », conseille Emmanuel Mas dans « Chercher les bonnes raisons » (1 min 30 Publishing). Dès lors qu’une personne ne parvient pas à bien faire un travail nécessaire à une entreprise, cette organisation a un problème et le salarié, une bonne raison de freiner des quatre fers face à toute velléité d’innovation.

Chaîne de compréhension

Pour circonscrire toute difficulté, l’auteur, associé du cabinet La Boétie Partners – qui a lu, en profondeur, « Sociologie du changement » de François Dupuy et s’est notamment intéressé aux activités de l’ancien spécialiste de l’organisation du travail du BCG Yves Morieux – propose de remonter une longue chaîne de compréhension. Sa grille de lecture fait dialoguer diverses disciplines (sociologie des organisations, science du management, coaching, psychanalyse d’institutions, neuroscience) et différents acteurs qui interagissent avec l’entreprise (« les parties prenantes »). L’objectif ? Trier avec discernement les propositions émises – sans exclure celles jugées de prime abord « extravagantes » – pour chercher la bonne raison qui fédère puis faire émerger des solutions insoupçonnées.

Vendeurs placés dans l’impossibilité de vendre, chefs de service coupés de leur équipe, car débordés, mais devant changer du tout au tout les façons de travailler… Les situations absurdes et les non-dits font perdre un temps précieux aux organisations, qui peuvent se tromper de diagnostic et croire, par exemple, que la solution réside dans un coaching d’équipe de managers alors qu’une situation de crises successives empêche ces professionnels de monter en compétence. Dans un tel cas, la solution idoine consiste plutôt à investir, du temps et de l’argent, dans leur formation, dès leur prise de poste, et de centrer leur recrutement sur leurs aptitudes comportementales en phase d’incertitude.

Autant de réflexions qui tombent sous le sens mais dont les organisations font l’impasse au lieu de prendre le temps de nourrir des échanges constructifs sur la base d’une triple écoute, préconisée par le coach Vincent Lenhardt : celle de l’autre, celle de ce que cette personne ne dit pas et celle de ce que la personne fait résonner en soi.

Cinq dilemmes du leader

N’oublions pas qu’un projet de transformation est un sport d’équipe. Les échanges – représentations communes, émotions, etc. – sont cruciaux, tout comme ce puissant levier de résolution de problèmes qu’est le sentiment d’inclusion. Quant au rôle du leader, il se résume à donner du sens et une direction. Si ce dirigeant prend la précaution de s’entourer d’une garde rapprochée auprès de qui douter, s’énerver et aussi accepter la contradiction, il devrait pouvoir surmonter cinq dilemmes, qui ne facilitent pas sa tâche, selon Emmanuel Mas : faire passer l’intérêt de l’organisation avant le sien, écouter sans manager, absorber l’angoisse des équipes et leur restituer de l’énergie, comme l’a souligné Xavier Huillard, PDG de Vinci, dans une interview aux « Echos », prôner le collectif tout en restant irrémédiablement seul et abandonner momentanément les qualités qui ont contribué à le hisser au premier rang.

Le tout, sans jamais se départir de l’état d’esprit qui consiste à chercher sans relâche les bonnes raisons qui compliquent ou bloquent le cheminement vers la transformation.

Source Les Echos – Muriel Jasor

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